18 Mai

Spiritualité et modernité

Texte lu à l’occasion de la célébration
des 25 ans d’existence de notre loge Port Royal d’Acadie.

spiritualité et modernisme

spiritualité et modernisme

 25 ans, 25 ans, mais qu’est-ce que 25 ans finalement ? Entre le tiers et le quart d’une vie humaine peut-être… mais quantité négligeable à l’échelle de l’Univers, et surtout une quantité déterminée qui renvoie l’Homme à sa finitude. C’est cette finitude qui pousse l’Homme depuis toujours vers cette recherche de la Vérité et donc de l’absolu. Ce désir d’absolu a souvent été tenté de trouver une réponse dans la recherche de l’immortalité. Il n’est donc pas surprenant de voir aujourd’hui réapparaître, comme réponse ultime à la quête de l’Homme, le vieux mythe de la jeunesse éternelle sous les traits transfigurés du Transhumanisme, voire carrément du post-humanisme, avec l’Homme Augmenté qui deviendrait ainsi immortel.


Mais comment a-t-on pu en arriver là me direz-vous ? La recherche de la réponse à cette question sera la première étape du voyage que je vous propose donc ce midi.
En effet, la réponse comme c’est souvent le cas, n’a que rarement la même force que la question dont elle découle. Et c’est peut-être qu’humblement en tentant de s’interroger sur le cheminement qui nous a fait parvenir au Transhumanisme, que nous serons en mesure de désamorcer quelque peu la charge symbolique du gonflement de nous-mêmes auquel nous serions promis.

La perte de l’immortalité
Si Sisyphe, Faust, ou Dorian Gray, représentaient déjà quelques avatars de l’Homme devenu immortel, tout commence avec Adam et Ève qui furent jetés en dehors du jardin d’Éden pour avoir goûté au fruit défendu de l’arbre de la connaissance et qui perdirent ainsi l’immortalité dont ils avaient joui jusqu’alors.
Tout part donc du fondement de la perfectibilité de l’Homme dont la mortalité n’est que la résultante et pour laquelle l’Homme au fil des millénaires tentera par tous les moyens de trouver un remède jusqu’à être prêt à vendre son âme au diable à une certaine époque ou à la Science depuis. C’est ainsi que dans la plupart des religions de Mithra en Mésopotamie au Christianisme dans le monde occidental en passant par les mystères d’Éleusis en Grèce et du rouleau de Thot en Égypte, des êtres immortels donnent à l’Homme la possibilité de voir son âme être ou devenir immortelle.

La découverte de l’esprit
D’un point de vue philosophique dans notre civilisation occidentale, cette recherche à la fois d’infini et le constat que l’Homme est perfectible trouve sa solution initiale dans la séparation du corps et de l’esprit portée par Platon. Cette thèse sera reprise au 3ème siècle après JC par Plotin et l’école néoplatonicienne avec la consécration de la supériorité de l’âme supposée immortelle sur la vie organique imparfaite et limitée que constitue le corps.

Le Moyen-Âge
Puis arrive le Moyen-Âge qui sous l’influence du religieux voit l’âme parfaite s’unir avec le corps imparfait. Il est également important d’ajouter que pour épouser la conception macrocosmique-microcosmique qui prédomine alors (i.e. l’Homme est, à une autre échelle,
l’image de l’Univers), la notion de propriété duale des corps apparaît, le corps qu’il soit Terrestre ou bien céleste comme les étoiles est constitué à la fois de matière et de lumière. Tout comme le corps, l’âme, qui lui reste supérieure bien qu’unie à lui, est aussi considérée comme étant composée à la fois de matière et de lumière. Bien entendu, l’imprégnation religieuse de l’époque assimile la lumière à Dieu et c’est ainsi qu’à la fois le corps et l’âme recèlent une parcelle divine. L’Homme trouve donc ainsi le moyen de remédier à son imperfection.
Ouvrons ici une parenthèse pour rappeler qu’à la même époque, la théologie de la lumière que nous venons de voir se traduit également par l’avènement du pendant macrocosmique du corps et de l’âme que sont les cathédrales gothiques tant par leur architecture en forme de corps que par la lumière chargée symboliquement du divin lorsqu’elle passe à travers les vitraux si caractéristiques de ces temples. Fermons ici la parenthèse.
Toujours au Moyen-Âge en occident, la quête d’immortalité de l’Homme trouve sa science avec le développement de l’alchimie à partir des travaux effectués par les savants arabes. En effet, bien que l’objet initial du travail alchimique soit la réalisation de la pierre philosophale permettant la transmutation des métaux en or, l’alchimie devient rapidement une science qui a pour objectif l’élaboration d’un élixir permettant le prolongement de la Vie.

La Renaissance
A partir de la Renaissance, nous assistons à une nouvelle dissociation du corps et de l’âme. Il y a redécouverte de l’idéal de la beauté grecque et le désir de s’approprier son corps qui s’exprime notamment par la pratique anatomique et la découverte des mystères qui se cachent sous la peau qui jusqu’alors était la seule chose du corps que l’on pouvait voir.

Les Lumières
Avec l’arrivée des Lumières, Descartes pousse encore plus loin la logique développée à la Renaissance de la maîtrise du corps en énonçant l’ambition moderne de : devenir “maître et possesseur de la nature “. On voit au passage que le mouvement de balancier repart du microcosme qui prévalait à la Renaissance avec une focalisation sur le corps vers une vision plus macrocosmique du monde avec la maîtrise de toute la nature.
Du point de vue de l’âme, ce que la Renaissance avait commencé à faire en pointant vers la Raison, les Lumières le termineront. Kant démontrera que la raison ne peut affirmer ou nier l’existence d’un Dieu divin ce qui rompra le lien qui existait jusqu’alors entre la Raison et Dieu pour y mettre l’Homme en lieu et place.
Descartes, quant à lui, développe la notion de progrès de l’Homme en faisant de l’individu un être perfectible en mesure d’éduquer sa raison, ce qui permet à la Science et la méthode scientifique de prendre leur envol.
Il faut cependant noter que la séparation du lien entre la Raison et Dieu qui se produit durant les Lumières, ne vise pas à faire disparaître Dieu, mais simplement à libérer la capacité de l’Homme à penser par lui-même et à l’affranchir des dogmes et des interdictions alors imposés par le religieux.
Néanmoins, la Raison devenue libre de penser, entraine un recul progressif du religieux allant jusqu’à une remise en question de l’existence même de Dieu.

19ème siècle
Ainsi, à partir du 19ème siècle, là où la religion promettait après la mort un paradis pour les âmes, les hommes veulent remédier aux imperfections du monde dans lequel ils vivent en voulant faire émerger un nouveau paradis terrestre. Ce désir se traduit par le progrès social et l’élaboration de doctrines économiques et sociales à tendance universaliste telles que le socialisme et le communisme.
La quête d’absolu passe donc à partir de là par la Science et l’Homme commence à penser et à croire que la Science doit être en mesure de trouver réponse à tout.

20ème siècle
Au 20ème siècle, sous l’impulsion de John Wheeler, la physique moderne développe une spiritualité scientifique avec la théorie quantique et tout particulièrement les théories participatives de l’interaction de l’Homme et de sa conscience avec l’Univers. Ainsi, l’Homme en tant qu’observateur modifie le fonctionnement de l’Univers du seul fait de l’observer. S’ajoute également la formulation de l’hypothèse selon laquelle notre Univers n’est peut-être qu’un parmi d’autre, que chaque particule qui le compose a la possibilité de suivre son propre cheminement dans plusieurs univers et qu’il pourrait y avoir un mouvement oscillatoire perpétuelle de destruction et de renaissance éternelle de l’Univers.

Puis, dans les années 80, les physiciens John Bennet et Frank Tipler, reprennent le concept dynamique du point Oméga développé initialement par Pierre Teilhard de Chardin. Et là, ils élaborent l’hypothèse d’une fusion de l’intelligence artificielle et du cosmos avec la possibilité pour les machines de devenir des êtres autonomes, supra-intelligents qui partent à la conquête de l’Univers pour le coloniser. Eventuellement les machines transformeraient l’Univers tout entier en une gigantesque machine pensante. Cette hypothèse va jusqu’à énoncer que lorsque l’Univers arrêtera son expansion et s’effondrera sur lui-même, la densité et la puissance de traitement de ce cerveau cosmique deviendra infini et que cet ordinateur au pouvoir quasi-divin sera en mesure de simuler toutes les réalités possibles. Difficile d’aller plus loin vous en conviendrez.